Fort de ses 29 années de célébration d'un cinéma hors norme et décalé, L’Étrange Festival Paris se décline désormais depuis six ans à Clermont-Ferrand. Véritable cabinet de curiosités filmiques, L’Étrange Festival Paris n’a jamais cessé de révéler au plus grand nombre des cinéastes devenus emblématiques : les frères Quay, Alex de la Iglesia, Jaume Balaguero, Alex van Warmerdam...
Sur les traces de ce glorieux aîné, La Boîte Noire, association clermontoise, emprunte une voie similaire, portant la bonne parole au milieu des volcans, celle d'un cinéma toujours singulier et surprenant. 

Notre société, qui a toujours favorisé le développement d’espaces où l’expression artistique est encouragée, soutenue, protégée, est traversée par des remises en questions profondes et souvent nécessaires. Pourtant, ces espaces de liberté tendent à se rétrécir, cernés par des forces où l’économique prône sur l’humain, où la marchandisation et la standardisation progressent et oblitèrent ce qui ne rentre pas dans des normes prévisibles car prédéfinies, et où les artistes peuvent être amenés à s’autocensurer.

Le cinéma subit pour sa part des attaques de plus en plus prononcées. Au festival de Cannes cette année, quelque cinq cents cinéastes ont dénoncé des ingérences de l’industrie sur leur travail artistique, pointant des "scénarios modifiés, (des) collaborateurs artistiques et castings imposés, (des) films modifiés au montage par les diffuseurs, (des) choix de musique prescrits" (1), ce au nom de la rentabilité.

Chaque année, plus de dix mille films sont produits dans le monde. Le cinéma français produit lui plus de trois cents films par an et distribue dans les salles plus de sept cents nouveautés en provenance de tous les pays. Mais une large majorité ne passe pas les deux à trois semaines en salle.

Beaucoup de ces films sont amenés à disparaître faute de pouvoir trouver leur public, devenant invisibles pour de sombres histoires de droits de distribution ou de diffusion, ou encore étant absorbés par les plateformes de visionnage en constante demande de contenus rapidement remplacés par d’autres. Certains films ne sortent même plus sur un quelconque support, physique ou numérique. Un nombre incalculable de films ne sont donc jamais vus en salle comme dans le cadre domestique.

Dans un tel contexte, les festivals comme le nôtre offrent une visibilité à des films qui

risquent de passer inaperçus ou d’être oubliés, tout en permettant aux réalisateurs de confronter leur démarche artistique, lors d’échanges, avec les spectateurs et de vivre une expérience commune. Nous programmons depuis plus de six ans des films qui allient inventivité, singularité et désir, moteurs de la création. Nous défendons des réalisateurs qui scrutent et restituent l’étrangeté du monde réel, qui imaginent des mondes fictifs tout aussi étonnants et des dispositifs de mise en scène surprenants. La richesse de leurs univers élargit nos perspectives et nous enrichit en retour. À notre humble manière, nous nous envisageons comme des passeurs, animés de l’envie de soutenir des propositions originales et de les partager avec nos festivaliers. En effet, nous sommes persuadés que la curiosité d’un spectateur doit être stimulée, ravivée, accompagnée, et un tel festival nous paraît l’endroit adéquat pour vous faire partager nos choix.

Rendant compte d’un monde en proie au doute sur son présent et son futur, les thèmes de l’errance, physique et psychologique, sur terre et dans l’espace, ou de l’identité, sont au cœur de cette édition 2023 que nous souhaitions, pour la première fois, ouvrir au documentaire.

Cette année encore, nous bénéficions du soutien du Ciné Capitole et de son équipe qui nous permettent de nous adresser à une large audience.

1 : France Culture, le 16/05/2023

Artiste multimédia, créateur au sens le plus complet du terme, il mène une carrière conjointe de cinéaste, de photographe, et de peintre dont les œuvres ont été exposées à Paris, Londres, Shanghai ou Pékin.

Passionné par l’étrangeté, déjà présente dans son premier long-métrage Tous Les Dieux du Ciel, il se définit comme « adepte de ces chocs émotionnels, de cette tension permanente entre rêve et réalité, climats sulfureux, drôles, burlesques, violents, alternant moments de noirceur et de poésie qui font l’originalité et l’esthétisme atypique de (son) univers ».

En venant présenter son nouveau film, tourné en bonne partie dans notre région, cet anticonformiste nous fait le plaisir d’ouvrir cette sixième édition de la plus étrange des manières.

De Quarxx - France - 2023 - 96’

Avec Arben Bajraktaraj, Hugo Dillon, Ophélia Kolb, Manon Maindivide

Enfer et damnation

Interdit - 12 ans

En présence de son réalisateur. 

Que se passe-t-il après notre mort ? Et ensuite où allons-nous ? Confrontés aux conséquences de leurs actions, les personnages de ces trois histoires vont se retrouver prisonniers d’un monde étrange où règnent l’absurde et la folie, la douleur et le désespoir, l’irrationnel et l’inéluctable.

En nous invitant à explorer la psyché de ses personnages, Quarxx nous ouvre les portes d’un imaginaire ambitieux rarement abordé par le cinéma français. Il nous propose un extraordinaire voyage entre rêve et réalité, nourri de peinture fantastique anglaise, et débridé comme l’ont été les cinémas horrifiques italien et japonais. Visuellement splendide, constamment surprenant, le film parvient à rendre tangibles des visions irréelles qui viennent enrichir le paysage du cinéma fantastique.

Grâce à un dispositif filmique qui lui permet d’éviter tout voyeurisme malsain, l’autrichien Ulrich Seidl accompagne ses protagonistes dans les profondeurs de leurs caves, les met littéralement à nu et nous entraîne dans une étonnante plongée dans l’inconscient et la psyché de ses compatriotes, entre obsessions diverses et relents de nazisme. Sans juger ni sans détourner le regard, il scrute avec acuité et humour ce qui est généralement dissimulé et souvent réprimé par la société, et nous interroge sur notre rapport à l’intime et au refoulé. Leurs sous-sols ne sont-ils pas aussi les nôtres ?

De Verena Paravel & Lucien Castaing-Taylor - France - 2022 - 118’

Exploration corporelle

Interdit - 12 ans avec avertissement

En plongeant dans le corps humain comme on plongerait à l’intérieur d’une galaxie, passant de l’infiniment petit à l’infiniment grand, les deux réalisateurs nous convient à une fascinante exploration de la fabrique du corps humain, entre peinture et film de science-fiction. Comme dans le film de Fleischer ou celui de Joe Dante, ils nous entraînent dans un voyage fantastique entre intérieur et extérieur dans cette mécanique charnelle, fragile et résiliente, ainsi que dans les hôpitaux où nos corps sont pris en charge. Mélangeant trois types de prises de vues, caméras endoscopiques, caméras de surveillance et leurs propres images, ils établissent un parallèle saisissant entre le fonctionnement du corps humain et celui de notre société.

De Pella Kågerman et de Hugo Lilja - Suède/ Danemark - 2018 - 106’

Avec Émilie Johnsson, Bianca Cruzeiro, Anneli Martini

Perdus dans l’espace

La Terre étant arrivée à bout de ses ressources, ce qu’il reste de sa population humaine est lancé dans l'espace à bord de plusieurs vaisseaux. Semblable à un immense centre commercial, l'un de ces vaisseaux, l'Aniara, offre tous les services nécessaires pour satisfaire ses passagers, jusqu'à ce qu'un accident le fasse dévier de sa trajectoire.

Adaptation du célèbre poème épique suédois Aniara, ce film interroge notre nature profonde et notre propension au consumérisme, et traite d’une société humaine décadente comme de son éventuel glissement vers un renouveau new age, entre religion et mythes païens. À l'heure d’une angoisse liée à un possible effondrement de nos sociétés modernes, la science-fiction reste le meilleur médium pour questionner notre avenir.

De Robert Hloz - Tchéquie - 2023 - 111’

Avec Andrea Mohylová, Matej Hádek, Vaclav Neuzil

Science sans conscience

L’Europe, année 2041. La Fédération Européenne Libre, après avoir stabilisé une crise économique suivie de plusieurs attaques terroristes, publie une nouvelle loi constitutionnelle qui garantit aux citoyens "une vie entière à vivre". Grâce aux nouvelles technologies chacun dispose d'un droit de récupération en cas de mort non naturelle. Bien qu’un meurtre soit presque impossible dans une telle société, la détective Emma Trochinowska se retrouve chargée d'enquêter sur l’exécution d'un couple marié.

Pour son premier long métrage, Robert Hloz nous propose une expérience visuelle extraordinairement inventive combinant une esthétique rétro-futuriste et une exploration de la nature de l’humanité. Un captivant “Blade Runner” tchèque comme aurait pu l’imaginer Philip K. Dick.

De Rolf De Heer - Australie – 2022 – 96’

Avec Mwajemi Hussein, Deepthi Sharma, Darsan Sharma

Randonnée post-apocalyptique

Déposée dans une cage en plein désert par des hommes cagoulés, BlackWoman parvient à se libérer et s’engage dans une errance à travers un territoire rongé par une épidémie, la méfiance, et le rejet, où les humains ont perdu la parole et tentent de survivre par tous les moyens.

L’humaniste Rolf de Heer déroule dans cette fable philosophique et universaliste le récit d’un voyage initiatique pessimiste et amer, dystopie où son personnage principal, lumineux Candide féminin, témoigne de toute l’absurdité du monde déshumanisé qu’elle parcourt. Un monde où l’apocalypse a pris le visage d’un fondamentalisme blanc esclavagiste, où la peur et la violence ont envahi les esprits, où l’espoir n’existe plus et condamne l’humanité à revenir à son point de départ.

De Sébastien Vanicek - France – 2023 – 105’

Avec Théo Christine, Sofia Lesaffre, Finnegan Oldfield, Jérôme Niel

Nos amies les bêtes

Prix du public au Festival du Film Fantastique de Strasbourg

Kareb, un jeune banlieusard, acquiert une araignée venimeuse et la ramène chez lui dans son vivarium où il élève avec amour une large population d’animaux exotiques en tous genres. D’abord endormie, l’arachnide, qui se révèle être une femelle pondeuse, se réveille et se faufile hors de sa boîte pour disparaître dans un immeuble de la cité.

Sur fond de rap et d'oppression policière, cette série B tendue, assumée et décomplexée, témoigne de l’intérêt et du savoir-faire des nouvelles générations de réalisateurs français pour le genre. Investissant le terrain longtemps honni en France de l’horreur et du fantastique, ils déroulent leur récit avec efficacité et générosité et, sans renouveler l’histoire du 7e art, témoignent de leur désir d’investir le cinéma de divertissement. Arachnophobes, passez votre chemin !

De Baloji - Belgique/Congo - 2022 - 90’

Avec Lucie Debay, Marc Zinga, Eliane Umuhire

Réalisme magique

Prix de la nouvelle voix de Un certain regard - Cannes 2023

Après quinze ans d’exil, Koffi est anxieux de retourner dans sa ville natale au Congo pour présenter sa femme enceinte à sa famille. Dès leur arrivée, ils se heurtent à l’animosité des habitants qui le considèrent comme un Zabolo, un sorcier. Au cours de leur séjour, ils vont croiser la route de trois autres personnes rejetées comme eux par la communauté. Ils devront affronter ensemble le poids des croyances et des superstitions pour s’affranchir de leurs souffrances.

Reçu avec enthousiasme au festival de Cannes, Augure, ou l’idée que l’on se fait de l’avenir d’après certains signes, traite avec une gravité teintée d’humour et de naïveté les thèmes de modernité et de tradition, d’exclusion et de réconciliation, de colonialisme et d’émancipation. Les personnages de ce conte moderne nous ouvrent la porte d’un monde mystérieux où le surnaturel imprègne chaque élément.

De Timm Kröger - Allemagne - 2023 - 118’

Avec Jan Bülow, Olivia Ross, Hanns Zischler

Carrefours quantiques

Grand prix Nouveau Genre Canal plus

Prix du public à L’Etrange Festival Paris 2023

1962, un congrès de physique en Suisse. La disparition d’un invité iranien. Une mystérieuse pianiste. D’inquiétants personnages en noir. Une étrange formation nuageuse. Un secret retentissant sous la montagne. La théorie du tout.

Baigné dans un noir et blanc qui imprime la rétine, le film traverse de nombreux mondes alternatifs et contradictoires. Il le fait avec la conscience d'être à la fois une comédie, un film fantastique, un drame de guerre et un thriller d'espionnage. Déroulant la pelote de cette enquête métaphysique pleine de surprises, le film se double d’un passionnant exercice de style à l’ancienne comme Alfred Hitchcock ou Fritz Lang savaient nous en proposer.

De Bertrand Mandico - France - 2023 - 105’

Avec Elina Löwensohn, Christa Theret, Julia Rieder, Christophe Bier

Surréalisme théâtral

Interdit - 12 ans

Parcourant les abîmes, Rainer le chien des enfers raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort à travers les époques, les mythes et les âges depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare, jusqu'à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde.

Après avoir payé son tribut à l’esthétique du classique de John Milius, Bertrand Mandico transgresse sa référence, et s’accapare ce monde englouti pétri de mysticisme, de folie et d’érotisme. Dans un vibrant noir et blanc, il développe un univers fantastique de femmes puissantes, magiques et monstrueuses qui se pâment et se torturent mutuellement dans un perpétuel paroxysme. Un théâtre de la cruauté moderne où plane l’ombre d’Arrabal.

De Pascal Plante - Canada - 2023 - 118’

Avec Juliette Gariépy, Laurie Babin, Elisabeth Locas

Abysses répétita

Tous publics avec avertissement 

Deux jeunes femmes se réveillent chaque matin aux portes du palais de justice de Montréal afin d’assister au procès hyper médiatisé d’un tueur en série qui les obsède. Cette obsession maladive conduira l’une d’elles dans les recoins les plus sordides du Web où les vidéos de meurtres se vendent aux enchères dans les chambres rouges.

Prisonniers d’un réel glacé, les personnages de ce thriller psychologique parviennent contre toute attente à conserver leur humanité. Tenant à distance avec beaucoup de subtilité le sordide de son sujet, les snuff movies, le réalisateur les présente “comme une légende urbaine, ce côté inquiétant et paranoïaque du folklore qui fait partir l’imaginaire des gens”. Le regard singulier d’un cinéaste québécois prometteur.

De Benjamin Christensen - 1922 – 110’ – Muet

Avec Maren Pedersen, Elisabeth Christensen, Clara Pontoppidan

Oppressantes diableries

Hybride de documentaire et de fiction présenté sous forme de conférence, et retraçant l’histoire de la sorcellerie de ses origines à l’époque de sa réalisation, en mettant particulièrement l’accent sur la période moyenâgeuse.

Le film surprend non seulement par des visions puissantes et inquiétantes aux relents de l'expressionnisme, par la reconstitution d’un moyen-âge magnifié par un sens du cadre et du décor, mais également par le lien qu’il établit entre les sorcières, victimes d’un pouvoir religieux autoritaire, et un certain patriarcat mené par des hommes sexuellement inhibés. Résolument un sujet contemporain.